Face à la mort, accompagner la vie
« Plus l’accompagnement en phase terminale durant l’agonie et la mort a été de bonne qualité, plus la mort a été paisible et plus le deuil de ceux qui restent s’en trouve facilité, adouci, même s’il peut rester difficile pour d’autres raisons » M. Hanus, les deuils dans la vie, 2009.
Quel sens au seuil de sa vie, au seuil de la vie de L’être aimé, que cette mort imminente ?
Si nous sommes tous inconsciemment convaincus de notre immortalité, la mort lorsqu’elle fait irruption dans notre vie ou celle d’un être qui nous est cher, est très violente. La médecine qu’on souhaiterait toute-puissante, en laquelle chacun a appris à espérer montre sa limite car elle ne sait pas éradiquer la mort non plus.
Alors comment faire face aux confins de la vie lorsque la médecine n’y peut plus rien dans le registre de la guérison ?
Les soins palliatifs sont alors la réponse la plus idéale lorsque les soins curatifs ne sont plus d’actualité. Soins de confort qui prennent le relais des traitements en lien avec la maladie grave, ils recouvrent un ensemble de pratique qui accompagne le malade mais aussi sa famille dans ce dernier temps de vie.
Prodigués à la maison, en Unité de Soins Palliatifs (USP) ou à l’hôpital, les soins palliatifs recouvrent plusieurs dimensions : la prise en charge de la douleur physique du patient, la souffrance psychologique, spirituelle, sociale. Ses soins sont dispensés par une équipe pluridisciplinaire (du médecin à l’auxiliaire de vie) et s’adresse tant au patient qu’à sa famille.
Le travail de trépas
Le travail de trépas est celui qui se déroule dans les derniers moments de vie d’une personne (malade, âgée). Il englobe la période terminale de l’existence du sujet irrémédiablement condamné. Ce temps terminal se joue sur plusieurs plans : le plan physiologique, biologique mais également psychique. La question psychologique est étroitement corrélée à celle du corps. Cette agonie, par conséquent, a des répercussions psychologiques et pas des moindres.
A mon sens, ce qui fait la richesse de ce moment ultime certes douloureux, mais intense est le processus qui englobe tous les acteurs de la famille ; Mourir comme naitre, mobilise l’appareil psychique individuel mais aussi familial qui participent activement à cette étape de mort, à ce moment de transmission tout comme elle se constitue au début de la vie. Comme lors de la naissance, ceux qui accueillent un enfant lui donne la vie ont a à cœur de transmettre quelque chose d’essentiel de lui ; celui qui meurt a-t-il malgré lui cette mission ?
Comment donner un sens à ce temps vécu en soins palliatifs ?
Si l’homme, a, une certitude commune à ses pairs sur terre, c’est qu’il va mourir, un jour. La question temporelle, mais aussi la façon dont surviendra notre propre mort reste un mystère ; toutefois, à l’orée de cette mort prédite par la maladie, ce mystère semble moins épais, comme le soulignait un de mes premiers patients en USP « Sur le temps, j’ai de l’avance, j’en sais un peu plus que vous je crois ».
En soins palliatifs, la vie du patient se rétrécit inexorablement comme une peau de chagrin : le temps est compté, le compte à rebours a commencé à s’égrener, et le temps parait d’autant plus lent que le patient est assigné à un espace précis qui accentue cette impression d’immobilité temporelle.
Comment, l’être humain pensant peut-il, quand il a l’acuité que son temps lui est compté qu’il s’achemine inexorablement vers sa mort, continuer à désirer ? Peut-il consciemment envisager sa propre mort et désirer encore ? Comment va-t-il composer avec le fantasme d’immortalité qui git inconsciemment en chacun d’entre nous ?
Il me semble que ce moment de fin de vie peut être paradoxalement fécond. Pourvu qu’il ait un sens. Mais quel sens peut-il avoir que de celui de vouloir continuer à être, à travers l’autre vivant ? Car quel est l’humain qui ne souhaite laisser une trace de son passage sur terre ? S’il ne peut continuer lui-même à vivre, alors il continuera à exister à travers ce qu’il aura transmis à ses descendants. En fait de fin, il me semble que l’humain ne renonce justement pas à cette immortalitéqu’il continuera à vivre d’une autre façon à travers la mémoire de ceux qui lui succèderont. Ne sommes-nous tous pas des héritiers de ceux qui sont morts avant nous, de ceux qui nous ont précédés les siècles passés ?
Ainsi certaines questions deviennent cruciales : Que vais-je laisser de moi ? Quelles traces vont me survivre ? Et pour le proche la question se pose en contrepoids : que va-t-il me rester d’elle, de lui ? Comment aborder ces questions clés ? Comment donner un sens à ce temps qui parait si cruel mais qui est si nécessaire aussi ? De quelle façon, et de quoi ce moment peut-il être brodé, de façon à ce que le patient, mais aussi ses proches se sentent respectés ?
C’est tout le sens du travail du psychologue clinicien spécialisé dans le champ de la gériatrie, des soins palliatifs et dans celui du deuil.
Quel sens donner à cette agonie ?
Anciennement l’agonie était vue comme une lutte d’un dieu ou d’un ange avec les démons décrivant ce qui pouvait se passer psychiquement pour le sujet en fin de vie Aujourd’hui, je me rallie au concept de travail de trépas (Hanus). Ce travail, nommé aussi pré-deuil pour les proches, est une façon de commencer à se séparer au travers des pertes corporelles voire psychiques de son proche.
La question de l’euthanasie se pose, car tout le monde s’accorde à dire que le moment de l’agonie est « barbare et cruel » tant sur le plan psychique que sur le plan physiologique. En effet, le proche n’a plus la même acuité intellectuelle, son corps se décharne de jour en jour …Comment le reconnaitre ? Qui est dépositaire de son identité s’il se modifie inéluctablement ? Les familles peuvent être tourmentées « mais pourquoi tient-elle ? Elle n’en peut plus. » Finalement, qui n’en peut plus ? Qui sait dire pourquoi ? Etait-elle une battante ? Finalement ne la reconnaissent-ils pas dans sa personnalité ?
Pour certains auteurs la personne alors « a perdu toute dignité, beauté et signification » : c’est là que se situe le travail de trépas. C’est justement préserver, subjectivement et éthiquement le sujet et cela tant pour sa famille, que pour ses proches mais aussi pour les soignants, pour accompagner dignement une personne jusqu’au bout parce que le travail de trépas à un sens, donne du sens, un sens de pré-deuil, au sens où il prépare le deuil à venir par l’enclenchement à minima des phases du deuil (Kübler Ross). Comment ?
Des changements physiques commencent à affecter le patient mais aussi le regard que ses proches portent sur lui : perte de poids, perte d’autonomie fonctionnelle, dépendance, arrêt d’alimentation, problèmes de confusion, problèmes neurologiques. La communication se joue progressivement sur un plan plus archaïque. Si le mode de communication n’est plus uniquement axé sur la parole – même s’il est essentiel de continuer à parler à la personne en fin de vie parce que les mots, les intonations, la tessiture de la voix connue restent importants- les gestes, les regards, les expressions corporelles sont plus essentielles, renouant avec une communication archaïque, comme celle qui se vit entre l’enfant et sa mère, réconfortante.
Ce n’est pas parce que des lésions cérébrales altèrent la cognition, que l’enveloppe charnelle se délabre que le sujet malade ne reste pas profondément elle-même. Si la conscience est altérée, l’inconscient lui demeure : c’est à cela qu’il faut parfois penser, lorsque la parole fait désormais défaut, pour pouvoir dans l’agonie continuer à voir la personne aimée dans sa subjectivité.
Certains parlent aussi de « souffrance inutile » : certes, cette souffrance nous confine à notre impuissance – à guérir d’abord, puis à soulager parfois- mais n’est-ce pas à l’impuissance du proche aimé qu’elle nous confine d’abord ?
La problématique narcissique se loge derrière le « pas vivre pleinement » ce moment : pourtant la mort fait partie de la vie. Ce n’est pas qu’un événement social : c’est aussi un événement psychique sinon la question de l’euthanasie ne se poserait pas. L’euthanasie, pour De M’Uzan, neutraliserait ce travail psychique : il postule alors de l’idée d’une euthanasie psychique qui annulerait ces processus de prédeuil. Cette demande de mort est très souvent liée à la douleur physique, à la crainte de perdre sa dignité, à celle de la solitude à l’aube de sa mort. Or, comme le souligne Léonetti, si la douleur est jugulée et que le sujet en fin de vie ne se sent pas seul, alors sa peur de la mort décline. Plus que de supprimer sa vie, le sujet gravement malade et souffrant souhaite avant tout supprimer la maladie et son cortège de symptômes. Si certains ont la pudeur de vouloir mourir seuls, celui qui est entouré craint moins la mort que les autres. C’est ainsi que le patient, s’il est au centre de la prise en charge dans les lieux de soin et à domicile, l’accompagnement – dans la phase palliative exclusive particulièrement- de son entourage est primordial.
Enfin, la façon dont le sujet meurt aura un retentissement sur le deuil et en particulier sur la qualité du travail de deuil ; Aussi lorsque les proches ont pu accompagner leur proche à leur façon, ils pourront s’approprier ces derniers moments très subjectivement : « elle s’est battue courageusement » « elle a été lucide jusqu’au bout » « Nous étions présentes ma sœur et moi lorsqu’elle a rendu son dernier souffle ».
Accompagner le sujet et sa famille dans la phase palliative, c’est travailler au cœur de la vie, avec ceux qui bien vivants, qui vous mènent à cheminer avec eux, dans les méandres de leur existence au gré d’une pluralité de temporalités, de leur préhistoire personnelle à l’étirement de leur histoire transgénérationnelle. Tel un accoucheur, le psychologue clinicien peut aider celui qui est en train de mourir mais aussi ses proches – à ne pas subir cette mort, mais à vivre pleinement la transmission en cours.
Le travail de prédeuil en phase palliative
Si le processus de prédeuil entame le processus de deuil, autre processus qui succédera à la mort, il est impossible de faire le travail de deuil d’une personne en vie.
Le Dr Elisabeth Kübler Ross, médecin pionnière des soins palliatifs, a dénombré en 1969 dans son livre, « Sur la mort et le mourir » un processus de prédeuil qui peuvent aider à comprendre les mécanismes psychiques à l’action dans ce temps du mourir. Dès l’annonce du diagnostic létal où la guérison n’est plus une perspective, la famille entre dans ce processus de prédeuil qui se distingue d’un processus de deuil qui se vivra psychiquement après le décèsde l’être cher. Le patient lui-même traverse ses « états » qui s’alternent et entraînent une transformation psychologique décrite en 5 mouvements :
-Le choc : le choc succède à l’annonce d’incurabilité, lorsque celle-ci est entendable par le sujet ou, et par ses proches. Cet état d’hébétude ou le sujet ne comprend pas ce qui se passe, où seul un désert de pensée subsiste atteste d’une impréparation psychologique. Il survient ou non, dure plus ou moins longtemps mais alterne souvent avec un autre état comme la colère, le déni ou la dépression.
–Le déni : la personne confrontée à sa propre perte, refuse inconsciemment la réalité : elle est incapable d’imaginer le caractère incurable de sa maladie et d’intégrer l’hypothèse de sa propre mort. Ce déni va permettre d’apprivoiser la menace de mort.
–La colère : le malade ou le proche est en proie à des sentiments d’irritations contre ce qu’il vit. Il se montre hostile et agressif envers les personnes qui l’entourent, familles ou soignants. Ce comportement traduit l’angoisse qui l’habite à la pensée de mourir.
–Le marchandage : cette état correspond à une demande de répit face au temps qui reste à vivre. Le sujet se donne du temps et cherche de façon magique des raisons pour repousser l’inévitable.
–La dépression : le patient prend conscience de l’inéluctabilité de sa propre mort et de la perte que représente le deuil de sa propre vie.
–L’acceptation : c’est accepter que la mort fait partie intégrante de la vie et qu’elle en est son prolongement.
Si la traversée de ces états du prédeuil est rarement aussi complète, il suffit comme le soulignant le Dr Kübler-Ross, que 2 états ou 3 soient vécus pour attester que le processus est en cours. L’accompagnement peut être tout à fait réussi oscillant entre deux ou trois états émotionnels. C’est la rigidité d’un de ces états qui peut faire penser que le processus est grippé.
Comment annoncer la mort ?
L’annonce d’un décès, une nouvelle violente
L’annonce de mort qui fait suite à un accompagnement palliatif relève d’une logique de prise en charge. Si le déni peut faire penser que la famille n’a pas cheminé, elle chemine quand même comme j’ai pu le constater lors des groupes de paroles d’endeuillés. Pourtant l’annonce de mort à un autre n’est jamais anodine. La mort garde son aura de tabou : elle génère de la peur, elle fait souvent fuir. Serait-elle contagieuse, où est-ce un moment authentique où, on ne peut, bon gré, malgré, se défausser de soi ? Que la mort soit attendue (coma, longue maladie) ou soudaine (accident, attentat, rupture, suicide) la nouvelle de la mort est un choc qui nécessite une période d’adaptation pour le psychisme.
Etre confronté à la mort, voir le mort, c’est accepter une réalité insupportable, c’est être dans ce qu’on nomme en psychanalyse le Réel, l’innommable. Mais ce Réel n’est justement pas figurable. Il est insupportable à intégrer. La mort crée un conflit intrapsychique qui nécessite un travail psychique intense afin d’intégrer cette information de l’ordre du réel dont l’inconscient se refuse, au premier abord, à savoir quoique ce soit.
Ainsi le psychisme, largement occupé à intégrer cette réalité funeste, laisse le sujet fraichement endeuillé dans un état de stupeur, de sidération parfois, de déni. Affaibli, il a des pertes de mémoires, absences, insomnies, manque de concentration ou d’attention, manque d’appétit : il faut savoir accueillir cet état face à cet événement tout à fait inconcevable, irrecevable
Irrémédiablement, cette annonce marque un après, un autre temps : une vie s’en est allée et la famille est désormais amputée d’un de ses membres : orphelin d’un parent, d’un frère, ou encore d’un enfant qui ne connaitra jamais sa grand-mère. Comment intégrer cette annonce de mort ?
Dans le cas d’une longue maladie ou maladie grave, l’annonce létale du patient -dans le sens où aucun remède curatif ne peut plus être proposé – est une Pré-annonce qui amorce de façon discrète, plus ou moins consciente, une sorte de pré-deuil, notion proposée par M. Hanus : si la famille ou le proche peut l’entendre, il sait désormais que le temps est compté et que plus rien n’ira dans un mouvement progrédient ; le proche est dans une situation où les pertes se succèderont irrémédiablement. Ainsi, cette annonce d’incurabilité contient en soi l’essence de l’inéluctabilité de l’événement dont l’inconscient sait quelque chose. Il est cependant tout à fait normal que des mécanismes de défense se mettent en place pour parer à cette terrible vérité et il n’est pas surprenant que le sujet lui-même ou ses proches aient l’impression longtemps de n’en rien savoir.
Annoncer la mort à un proche
Comment le messager de cette nouvelle a-t-il soi appris la mort de l’autre ? Etait-il présent ou est-ce l’infirmière qui par téléphone a amorcé la « mauvaise nouvelle » ?
Les circonstances de l’annonce sont importantes.
Si les deux questions rituelles tournent autour du Comment et du Quand de cet événement, la façon dont l’annonce est faite va participer à la qualité du deuil. Soudaine ou attendue, l’intégration de cette nouvelle sera différente. Enfin le lien avec le message de cette annonce est tout aussi important.
Annoncer un décès, quel que soit l’âge de l’autre, n’est pas simple. Etre porteur d’une mauvaise nouvelle, dépositaire d’une information dont l’après sera forcément différent, dans ce que cette annonce peut avoir de traumatique, car elle confronte chacun à l’idée de sa propre finitude outre la souffrance liée à la mort de l’autre. Le signifier à un autre, c’est prendre conscience de cette réalité, c’est lui donner corps dans le réel.
Comment annoncer la mort à un enfant ?
Annoncer une maladie grave ou une mort, est d’autant moins aisé lorsque le destinataire est un enfant. En effet, l’adulte n’est-il pas fondamentalement là pour protéger, rassurer l’enfant ? Mais n’est-il pas là pour le guider également ?
Comment objectivement ne pas être dans la culpabilité d’annoncer le pire, en étant soi-même peiné ? Comment rassurer l’enfant qui sent lui-même que l’adulte troublé, malgré ce qu’il laisse paraitre devant cette question fondamentale qu’est la question de la mort ? Faut-il cacher son chagrin, sa peine et ses émotions face à un enfant, lui aussi confronté à une perte ?
Quel que soit l’âge de l’enfant concerné, cette annonce de mort est complexe. C’est en soins palliatifs mais également dans le champ du somatique, à l’hôpital, que j’ai perçu avec acuité cette difficulté, légitime, récurrente à laquelle sont confrontés les adultes en situation de deuil.
« Comment dire à mon fils que j’ai perdu l’enfant que je portais en mon seing ? » ou encore « Comment dire à ma fille que sa tante qu’elle adorait est morte alors que celle-ci ne voulait pas que ses nièces la voient malade ? »
« Comment imposer à mon enfant la lourdeur d’un deuil à son âge avec la perte de sa mère ? ».
Dois-je dire la vérité ? se demande souvent l’adulte, la sœur, le parent.
De façon générale, cela est très troublant de devoir être l’émissaire d’une mauvaise nouvelle à un enfant. C’est d’autant plus vrai, lorsque la question de la mort est convoquée, et toute l’énigme mais aussi l’angoisse que cette idée peut générer. Le point d’interrogation subsiste : qui est revenu de l’au-delà pour assurer les vivants de ce qu’il y a, ou pas ensuite ? Si on ne peut affirmer avec certitude ce que recouvre « l’après vie », et quel que soit notre croyance, ce qui est certain est qu’une vraie perte, bien terrestre, bien humaine, très concrète vient d’avoir lieu. La personne qu’on aimait est morte et son corps est promis à une inéluctable transformation organique.
Faire cette annonce à quiconque plonge nécessairement dans la violence de la réalité car cela réclame d’avoir préalablement intégré soi-même, un tant soit peu, cette nouvelle funèbre pour en faire part à l’autre. C’est-à-dire reconnaitre en soi que la personne est en effet décédée et qu’aucun retour en arrière ne sera possible. Le déni, mécanisme de défense qui vise à protéger la conscience, en niant la réalité d’un événement, est alors difficile à maintenir si cette nouvelle à annoncer nous échoit. En effet, être porteur de cette nouvelle nous place dans une position ou l’on est soi-même confronté à la terrible vérité : la mort et l’irrémédiable vérité qu’elle recouvre.
Annoncer un décès, c’est avoir le mauvais rôle en quelque sorte, c’est voir en miroir le visage de l’autre changer, nous confondant dans une sorte d’impuissance, sans pouvoir au fond, effacer cette vérité, sans pourvoir avoir recours à la pensée magique dont on voudrait tant user pour gommer en un clin d’œil la terrible réalité : « ce n’est pas vrai, c’est un rêve, ou plutôt un cauchemar » voudrait on réaliser en s’éveillant soudainement.
Dire la mort à un enfant c’est aussi donc se confronter soi-même avec cette délicate question, de ce que l’on en pense, car l’enfant ne manquera pas de nous interroger sur les points dont nous n’aurons pas toutes les réponses, il faut l’avouer.
Ce moment de l’annonce est néanmoins crucial car la façon dont cette mort sera annoncée n’est pas anodine et participera d’une certaine manière à la qualité du travail de deuil.
Il est toujours important de dire la VERITE à un enfant, quel que soit son âge, même s’il s’agit d’un nourrisson.
Il est important de verbaliser et d’adapter bien sur votre langage aux capacités de l’enfant ; car taire la vérité et faire d’un décès (ou de sa raison d’ailleurs) un secret, ne peut qu’encrypter durablement sur le plan inconscient le deuil à venir, que ce soit dans cette génération ou dans la lignée à venir car « rien ne se perd, tout se transforme » selon la célèbre formule physique. Cette règle s’applique également à mon sens à la vie psychique.
Dire la vérité à un enfant, c’est le considérer, lui montrer qu’il est digne d’intérêt et de respect. Etre sincère, c’est lui montrer que vous avez confiance en lui et ses capacités, en ses ressources qui sont souvent surprenantes. C’est le reconnaitre comme un interlocuteur valable, capable d’écoute et de compréhension. C’est le respecter et le protéger de l’illusion d’un monde sans heurt car « la mort fait partie de la vie », et c’est l’occasion de lui transmettre parfois pour la première fois, une leçon de vie, en en définissant les limites.
Un lieu calme pour une annonce en douceur
La première chose qui importe est d’être dans un lieu calme, contenant, à l’abri des regards. Il peut être intéressant de préparer l’enfant, même s’il le pressent souvent à travers des silences et des expressions infra-verbales, au fait qu’il va apprendre une chose importante. C’est une façon de préparer son inconscient à un choc et d’en limiter la violence traumatique.
Pour cela quelques points méritent d’être respectés.
Il est important de ne pas idéaliser le mort face à un enfant.
Il est essentiel de lui raconter comment son proche est mort.
Il a ensuite besoin d’un espace, d’un temps pour qu’il pose ses questions s’il en a sur le moment ou plus tard – lorsqu’il aura commencé à assimiler la nouvelle – répondre à ses questions car cela va le rassurer et surtout le déculpabiliser ; C’est pouvoir l’autoriser à exprimer ses émotions et le rassurer sur le fait que les éprouver et les exprimer est une chose normale.
Il est important de lui dire des mots simples sans utiliser de métaphore qui pourrait lui rendre les choses confuses (« il est parti au ciel ! génère plus une peur du ciel et des avions) Le mot mort doit être prononcé.
Dire la vérité n’est pas un luxe.
Montrer ses émotions ou ne pas les masquer rend les choses explicites.
Ne pas chercher à la déculpabiliser mais tenter d’en comprendre la raison
Le rassurer : lui n’est pas en danger de mort tandis qu’on continuera à s’occuper de lui et à le protéger
Lui laisser le choix quant à la visite au chevet de la personne malade, de préférence accompagné, et l’informer au préalable des changements physiques qui ont pu survenir.
Voir le mort oui cela peut éviter ensuite la constitution de fantasmes. Lors de la mise entière également si l’enfant le souhaite. Participer aux rituels également, à la cérémonie une façon personnelle qu’il aura de lui dire au revoir
Le deuil se vit de multiples façons chez l’enfant qui fractionne en petites quantités sa souffrance mais peut également être dans une certaine agitation, hyperactivité, colère, irritabilité.
Accompagner l’enfant en deuil dans ses questions en restant disponible, à son écoute dans le temps qu’il choisira en répondant simplement à ses questions est toujours important.
L’exercice n’est pas simple : en effet, l’adulte doit lui-même être au clair avec sa tristesse et éviter de la masquer car l’enfant sensible calquera son attitude à celle de son parent tandis qu’il aura tendance à protéger l’adulte qu’il voit malheureux : c’est ainsi qu’il peut s’oublier, ou remettre à plus tard, parfois à des décennies plus tard, son propre chagrin et donc son processus de deuil.