Lorsque la vie perd de sa saveur, qu’affronter la prochaine journée parait insurmontable, que les nuits sont blanches ou les idées sont noires, la dépression guette. Soudaine ou installée à bas bruit, cet état barre l’horizon des possibles. S’il est normal de ressentir un affect dépressif dans des situations où un deuil est à mener, il est anormal qu’il perdure, des semaines, des mois, des années plus tard. C’est alors une dépression profonde qui s’empare du sujet, état qui nécessite une analyse en profondeur afin d’en libérer les racines, et de retrouver des perspectives.
Certains événements viennent aussi très brutalement ébranler certains d’entre nous.
Etre témoin d’un accident grave, survivre à un attentat, faire une fausse couche à un mois du terme, ne pas réussir à réveiller son conjoint un matin, être présent lors de la mort inattendue d’un proche, autant de situations, qui parce qu’elles confrontent à la mort, pour soi, pour l’autre, peuvent faire traumatisme. Traumatisme événementiel, traumatisme collectif ou sexuel, cette rencontre inattendue avec le Réel fait littéralement « trauma » (du grec trauma, blessure). Parce qu’une première blessure psychique inexprimée est restée à l’état de latence, la seconde par le biais d’un autre événement, vient faire traumatisme : quels sont effets, comment le traverser et quels différents traumatismes peuvent marquer l’individu mais aussi le groupe ?
Traverser la dépression
« J’ai touché le fond de la piscine, Dans le petit pull marine, Tout déchiré aux coudes, qu’j’ai pas voulu recoudre, que tu m’avais donné, j’me sens tellement abandonnée ».
Pull Marine chanté par Isabelle Adjani, 1983.
Etre angoissé, accablé de désespoir, littéralement submergé par la tristesse dès le réveil, ne plus trouver ni saveur, ni de sens aux choses qui nous entourent, être assailli par des crises de larmes intempestives, avoir des idées noires sont des symptômes qui traduisent une profonde dépression. Cet état dépressif, s’il est une phase naturelle du travail de deuil, n’en est pas totalement indistinct de ce dernier. En effet, le sujet déprimé ne peut plus continuer à fonctionner « comme avant ». Un changement net, une mue véritable sont nécessaires ; le deuil d’un fonctionnement antérieur sera essentiel pour re-trouver le goût de vivre.
Ces affects de tristesse, cette aboulie, cette difficulté à faire face à la vie, cette perte de désir mais aussi la fatigue intense, le manque d’appétit, les insomnies sont contemporains d’une perte de sens que le sujet ressent, un manque d’élan au sein de sa propre existence. La relation à soi, à l’autre, même proche, est altérée. « Fais un effort ! » « Il suffit de » propose l’entourage à la personne déprimée. Pourtant rien n’y fait. Le sujet est inhibé, comme bloqué dans une impasse tant sa douleur ancrée. Comment vivre en effet lorsqu’une perte d’élan vital est si inscrite, lorsque le plaisir n’a plus cours ? Les ruminations, la masse d’angoisses barrent la pensée, tant le sujet est occupé à vouloir les surmonter.
Parfois, la dépression est dite majeure et relève de soins psychiatriques : ainsi consulter un médecin psychiatre peut aller de pair avec l’engagement dans un travail psychothérapeutique avec un psychanalyste. Ces deux actions sont absolument complémentaires car si la prise de médicaments prescrits par le psychiatre permet de gérer l’intensité de la souffrance à court terme, le travail psychique en profondeur permet d’en comprendre les soubassements et d’y remédier sur le long terme.
La dépression peut survenir à tout âge. D’allure mélancolique, elle peut sommeiller au creux du sujet de façon intemporelle, trace d’une souffrance transgénérationnelle. Aussi le danger est fort lorsque le sujet fait face à une perte (deuil, rupture sentimentale, perte de travail, handicap…) que s’instaure une dépression durable. Ou bien présente à bas bruit, elle surgit à la faveur d’un évènement fort (burn-out, harcèlement professionnel, confinement, maladie, télétravail, rupture, échec…) voire d’une somme d’événements d’apparence mineure (rupture amicale, collaboration qui cesse, maladie d’un conjoint…).
Le sujet est alors dans une incapacité à penser la situation, de se secourir lui-même.
Pourtant, la dépression est une alerte salutaire de la psyché qui vient porter sur la scène consciente la trace de conflits internes inconscients. Souvent archaïque, voire héritée des générations précédentes, cette souffrance psychique ne semble avoir aucun sens. Elle réédite couramment une réalité personnelle ou/et familiale ancienne, un dysfonctionnement dont le sujet ne veut plus : c’est le germe d’un mieux-être. Comme le suggère le titre bien pensé de Fédida, « les bienfaits de la dépression », celle-ci est porteuse car elle permet au sujet de se dire, de se redéfinir au présent, de revisiter le passé pour pouvoir s’inscrire dans un avenir.
« Est ce que je serai la même qu’avant ? » demande une patiente. Comment être la même en avançant par le biais d’une psychanalyse vers la connaissance de soi ? C’est avant tout un regard porté sur soi, sur le monde qui change. Il ne s’agit pas de réécrire l’histoire mais d’en avoir une lecture différente. Car un mal-être profond est surdéterminé : c’est- à-dire que plusieurs causes tissent cette douleur, emmêlant l’écheveau et créant un « nœud » psychique sclérosé par le temps. C’est aussi pour cela qu’il faut du temps, des années de thérapie pour dénouer les fils de ses douleurs et pouvoir progressivement redessiner un sens.
Par-delà le traumatisme
« Il y a une preuve de la force d’impression produite par l’expérience traumatique vécue dans le fait que celle-ci s’impose sans cesse au malade, même pendant le sommeil ». Freud, Au-delà du principe de plaisir, 1920.
Guerre, attentat, inceste, viol, violences conjugales, suicide, harcèlement et tant d’autres situations vécues dans sa chair qui effractent le psychisme et font traces. Comment oser en parler, comment traduire l’innommable, comment mettre des mots sur l’indicible, lorsque le sentiment de vulnérabilité ou de honte est prégnant, que le sujet ne se reconnait même pas encore comme une victime ?
Le traumatisme psychique se traduit par un cortège de symptômes : peur intense, reviviscences de la/des scènes, cauchemars, évitement, dissociation, symptômes neurovégétatifs, insomnies, angoisses, évitement, hypervigilance, troubles alimentaires, anesthésie émotionnelle, dépression, dévalorisation, irritabilité voire addictions etc. Il s’agit du fameux ESPT (Etat de Stress Post Traumatique) ou en anglais PTSD (Post-Traumatic Stress Disorder) tristement célèbre à travers ceux qui ont vécu de près ou de loin la frayeur de perdre de sa vie ou de voir l’autre mourir sous ses yeux.
« Le choc est équivalent à l’anéantissement du sentiment de soi, de la capacité à résister, d’agir, de penser en vue de défendre le soi propre » propose Ferenczi dans sa réflexion sur le traumatisme en 1932. Le choc est d’autant plus violent qu’il est inattendu mais aussi invisible aux yeux du monde, parce qu’aucune séquelle physique ne vient faire trace pour l’autre qui reçoit la confidence, le chagrin ou la douleur de son proche. C’est, il y a plus d’un siècle, les médecins qui s’interrogent sur les comportements étranges des sujets revenant de la guerre, changés, ou les victimes ou témoins d’accidents ferroviaires sans lésion visible. Le sujet développe une cohorte de symptômes, immédiatement ou après une période asymptomatique, que Freud en 1919 définit comme une névrose traumatique.
Pour dépasser le traumatisme, le sujet va tenter à son insu de modifier ce qui a été vécu si douloureusement. Cette élaboration passe par exemple par des souvenirs répétitifs. Car ils ont leur fonction. Ferenczi a eu l’intuition qu’ils étaient « non pas des produits mécaniques de la pulsion de répétition, mais (..) l’action d’une tendance psychologique à une résolution nouvelle et meilleure (…)». C’est en revivant ces scènes de façon diurne, ou nocturne à travers des cauchemars, en essayant sans cesse de corriger la scène, de donner une issue favorable à une situation qui a mal tourné, que le sujet tente d’en sortir.
Etre accompagné par un autre lors d’un suivi post-traumatique dans ce temps d’élaboration permet une vraie sortie d’impasse. Rencontrer un psychologue clinicien dans ce temps ou la temporalité perd de sa texture, c’est se donner une chance de tenir la main de l’autre qui se tend. C’est non plus subir mais pouvoir reprendre une position active dans ce scénario souvent mortifère.
Le traumatisme événementiel
Le phénomène du traumatisme est « un choc inattendu, non préparé, écrasant, agit comme un anesthésique(…)Apparemment par l’arrêt de toute espèce d’activité psychique joint à l’instauration d’un état de passivité dépourvu de toute résistance ». Ferenczi, Le traumatisme, 1932.
Voir une scène insoutenable qui confronte aux limites de la vie, vivre un événement d’une rare violence sur la voie publique dans le cadre de son métier, apprendre un suicide ou le découvrir, voir mourir quelqu’un de cher sans y être préparé, autant d’événements qui peuvent avoir un retentissement durable, voire une portée traumatique pour celui qui est présent.
Pourquoi certaines personnes, vivant le même événement, ne produisent-elles pas la même symptomatologie ? Parce que chaque individu est unique. Parce que chaque sujet est détenteur et acteur d’une histoire personnelle. Même les jumeaux, élevés dans une même famille, ne s’approprient pas les événements de la même manière. Car chacun a son caractère inné, ses expériences acquises tandis que chacun est porteur de forces et failles différentes ; parce que chacun d’entre eux est un support projectif différent pour l’entourage qui forge des personnalités uniques.
Un événement fera d’autant plus traumatisme qu’il résonnera avec une fêlure inconsciente pour la victime. Comme Freud le soulignait, le cristal ne se brise qu’à l’endroit où la fissure préexistait. C’est de cette fêlure ancienne dont parle le traumatisme et que la thérapie permet d’explorer et de dénouer. Névrose traumatique, traumatisme cumulatif, traumatisme massif autant de figures différentes du traumatisme qui méritent une attention extraordinaire pour des vécus singuliers.
Le traumatisme collectif
« Pour qui, comment, quand et pourquoi ? S’il faut absolument qu’on soit, Contre quelqu’un ou quelque chose, Je suis pour le soleil couchant, En haut des collines désertes. Je suis pour les forêts profondes, Car un enfant qui pleure, Qu’il soit de n’importe où, Est un enfant qui pleure, Car un enfant qui meurt Au bout de vos fusils Est un enfant qui meurt ». Extrait de « Perlimpinpin » écrit et chanté par Barbara, 1972.
Guerre, attentat, génocide, comment s’en sortir psychiquement lorsque les morts s’amoncellent, lorsque la vie a déserté celui qui y survit ?
Sidération de la pensée, anesthésie psychique, fragmentation d’une partie du moi, « l’auto clivage narcissique » décrit par Ferenczi, psychanalyste hongrois du siècle dernier, les mécanismes de défense auxquels l’humain a recours dans ces moments extrêmes où il est face à sa mort ou celle de l’autre, sont d’ordre archaïque, appartenant à des stratégies de défense très anciennes. C’est dire la violence et l’insupportable charge émotionnelle dont le sujet est l’objet à son corps défendant ;
Ces mêmes mécanismes de défense, qui permettent au sujet de seulement survivre barrent paradoxalement l’accès à l’objet du traumatisme. Car tout ne peut pas se dire. Les rescapés des camps de concentration sont restés murés des décennies dans le silence. Car comment transmettre l’intransmissible ? Parce qu’il aurait fallu inventer un langage pour narrer l’horreur absolue, parce que certains redoutaient de ne pas être crus, parce qu’un sentiment de honte peut habiter les survivants, parce que le pacte identificatoire (à l’humanité) avait été rompu.
Aussi, la transmission psychique inconsciente est très souvent à l’œuvre. Le traumatisme psychique, insidieux, profond, indélébile, intraduisible peut se loger, à l’insu du sujet, dans une crypte psychique et resurgir à la génération suivante ; hérité sous la forme d’un message crypté, le traumatisme non élaboré se transmet comme c’est le cas du secret de famille mais pas seulement. Il transparait à travers des agirs (ou inhibitions), des somatisations, des maux de l’âme. Ainsi des tortures subies ou de morts administrées tues n’échappent pas à cette transmission empêchant le descendant actuel de vivre sa propre vie. C’est l’effet également produit par le meurtre de masse comme les génocides, comme la Shoah durant la 2ème guerre mondiale, le génocide cambodgien, rwandais, arménien etc…car « Pour lui (le rescapé), c’est la mort qui a changé de statut : lui qui a déjà vécu sa mort doit pouvoir mettre ce savoir de côté, pour réintégrer la vie normale, et accepter de vieillir et de mourir un jour» écrit Waintrater, psychanalyste, dans le temps de l’extrême : génocide et temporalité en 2009.
Le traumatisme tatoue le psychisme individuel et collectif pour une vie ou plusieurs. C’est pour cette raison qu’il est essentiel de le déminer avant qu’il ne se (re)transmette invisiblement, délivrant par la même le porteur d’une telle douleur entravant souvent plusieurs pans de sa vie.
Dans la vie d’âme de l’individu disait Freud en 1921, l’autre entre en ligne de compte régulièrement comme modèle, soutien ou adversaire, et de ce fait toute psychologie individuelle est aussi d’emblée une psychologie sociale. Si des cellules de crises sont maintenant souvent mises en place (attentats, incendies, suicide à l’école ou entreprise), si des groupes de paroles sont, au sein d’associations, porteurs, chaque sujet n’a pas forcément envie de partager son vécu avec d’autres surtout lorsque sa confiance en l’humain n’est plus. Venir parler de soi, de façon individuelle et subjective, d’un vécu si intime à un autre, est un premier pas vers un mieux-être psychique, vers ce qui au lieu d’être une survie peut devenir une vie incarnée.
Le traumatisme sexuel
« Le comportement des adultes à l’égard de l’enfant qui subit le traumatisme fait partie du mode d’action psychique du traumatisme. Ceux-ci font généralement preuve d’incompréhension apparente à un très haut degré ». Ferenczi, le traumatisme, 1932
Certains vécus se gravent de façon indélébile dans la mémoire inconsciente. Pourtant, l’événement peut à priori être frappé d’oubli. Et si longtemps, pendant des décennies parfois, l’amnésie peut recouvrir cet événement source d’une indicible souffrance, il n’en reste pas moins inscrit en un lieu psychique.
C’est grâce à ce que les psychanalystes nomment le clivage que le sujet peut, en un temps précoce, se « cliver », c’est-à-dire, se couper d’une partie de lui-même et séparer en un autre lieu psychique, l’événement traumatique vécu. Ce mécanisme de défense très puissant permettrait au psychisme de se protéger, voire de survivre comme l’a identifié Ferenczi, psychanalyste contemporain de Freud. Or le clivage a un coût psychique fort car à l’image du vent (l’événement traumatique) qui continue à hurler à l’extérieur des portes barricadées (clivage), il s’engouffre dès qu’une brèche est ouverte.
C’est ainsi à la faveur d’un autre événement, bien des années plus tard, au détour d’un événement banal, que le contenu même de ce trauma peut, dans une forme d’après-coup, resurgir.
Parler du traumatisme sexuel vécu n’est pas simple. Intime, secret, frappé par le sceau de la honte et ou de la culpabilité, la victime de tels actes est taraudée par d’infinies questions : pourquoi ais je laissé faire ? Car la clause du secret était tacite dans le cas de l’inceste ? Parce que comment ne plus faire confiance en l’adulte qui disait m’aimer ? Comment n’ai-je pu réagir ? C’est en effet l’adulte qui est censé savoir, montrer l’exemple et fixer les limites. L’enfant, lui, alors qu’il réclame toujours de la tendresse s’est vu répondre sur le mode sexuel. Il y a, comme le souligne Ferenczi, « une confusion de langues entre enfant et adulte » : c’est l’adulte qui est garant du savoir et de l’attitude à tenir.
Le traumatisme sexuel comme le vécu d’inceste, de viol, de harcèlement sexuel, est souvent tabou et très difficile à dire. Le traumatisme est un événement vécu qui, en l’espace de peu de temps, apporte dans la vie psychique un tel surcroit d’excitation que sa suppression ou son assimilation déborde le sujet devient ce qui a pour effet des troubles durables.
L’horreur de l’inceste, le tabou, le secret, la culpabilité, le statut de victime non reconnue par la famille est source de beaucoup de souffrance. Inceste, violence conjugale, la honte, le tabou empêchent que la parole se libère. Ces situations effractent tant le corps que le psychisme.
Sortir de l’inceste
Pour que l’inceste ait lieu, c’est que l’incestuel a précédé ce passage à l’acte. Qu’est-ce que l’incestuel ? Un climat familial nous dirait Racamier, où sur le plan de l’inconscient familial les places de chacun sont implicitement confondues, où la confusion des générations ne marque aucun rôle précis, aucune limite entre un enfant et un adulte, un grand-parent et un petit-enfant. C’est une famille où la question temporelle est singulière. A l’insu de tous.
Une séduction primaire naturelle
Si la séduction est naturelle entre la mère et l’enfant, la mère étant séduite par son nourrisson qui n’a d’yeux que pour elle, dans ce moment intense qui suit l’accouchement et dans les quelques semaines qui suivent cette rencontre dans le milieu aérien, la mère est alors dans une « préoccupation maternelle primaire » normale dit Winnicott, qui la met dans une bulle avec son tout petit et permet une prise en charge adaptée compte tenu de l’immaturité du bébé humain à sa naissance. Si le père peut parfois se sentir exclu de cette scène – si le nouveau-né est un fils, cela peut convoquer en lui le fils qu’il fut pour sa mère – dans ce moment de fusion primaire normal entre la mère et son bébé, vient un second temps où l’autonomie de l’enfant doit se faire. C’est le sevrage du sein par exemple, qui mettra un premier écart dans cette dyade primaire, c’est-à-dire du couple formé par la mère et son nourrisson. L’un est dépendant de l’autre.
Une culpabilité parentale face à un idéal écorné
Dans la situation singulière où la santé de l’enfant est en jeu (problème organique du tout petit à la naissance, handicap physique ou psychique, maladie évolutive) la séparation sera d’autant plus difficile que la maladie entrainera une attention et une dépendance concrètes : l’enfant ne pourra se séparer et s’autonomiser vraiment de sa mère – ou de son maternant étant la personne qui s’occupe de lui après la naissance- d’autant que celle-ci éprouve malgré elle une culpabilité inconsciente à ne pas avoir enfanté un être parfait par exemple, à avoir transmis une maladie génétique, de ne pas avoir protégé son enfant d’un environnement dangereux, à moins que l’angoisse et la colère inconscientes de la mère se muent en une surprotection entravant l’autonomisation de cet enfant, enfant pourtant précoce de par les épreuves qu’il vit.
Si le bébé séduit le plus naturellement du monde l’adulte qui prend soin de lui et que cela le construit, du côté du parent cela peut être plus complexe du fait qu’il est lui-même agi par sa propre histoire, sujet porteur et transmetteur de l’histoire inconsciente familiale.
Si l’inceste survient lors de la période œdipienne, au moment où l’enfant désire naturellement le parent de sexe opposé, et si la réponse à cette demande d’amour de l’enfant sur la carte du tendre est pervertie par une pensée sexuelle adulte et actée, cela peut faire traumatisme parce que le fantasme vient à manquer le but premier : celui, par le fantasme, de la constitution de l’œdipe c’est-à-dire d’intérioriser que l’interdit sexuel avec le parent.
Sur le conte de Peau d’Ane…
Le conte de Peau d’Ane illustre ce propos. La mère de Peau d’Ane meurt, laissant seuls le père et sa fille. Le roi est si amoureux de sa fille – et c’est l’œdipe qui s’en mêle, quel fils ne désire pas se marier un jour avec maman et évincer le père, et quelle fille n’a jamais espéré être la femme de son père, en supplantant sa mère ? – qu’il veut l’épouser. Peau d’Ane alors qu’elle aime son père résiste en demandant des robes toutes plus belles les unes que les autres pour finir par s’échapper, lui permettant de s’émanciper et de rencontrer un homme.
Dans ce conte, le père de Peau d’Ane ne peut différer le désir qu’il a pour sa fille, substitut de cette mère morte. L’écart entre les générations est annulé.
Confusion de langues entre demande de tendresse et réponse sexuelle
L’enfant aime son parent et ne souhaite pas le décevoir. Il parle le langage du « tendre » tandis que l’adulte parle de sexualité. C’est là qu’il y a « confusion de langues entre adulte et enfant », titre du célèbre texte du psychanalyste hongrois S. Ferenczi. Parfois à tout prix, malgré lui. Sous le sceau du « secret », d’une préférence certaine, d’un manque d’amour ou d’attention de l’environnement mais dont l’enfant se voit soudain important et gratifié, parfois menacé – même s’il sent que le parent à tort- c’est lui qui fixe les lois ; c’est sur cette limite que se joue la perversion de l’adulte, parfois anciennement abusé d’ailleurs. Et l’enfant cède malgré lui par ce qu’il ne faut pas détruire la famille, parce qu’il se sent coupable de refuser. L’enfant s’il n’est pas coupable de la faute du parent incestueux doit apprendre à penser par lui-même au lieu de se soumettre à l’autre. Ce serait disqualifier l’enfant en tant que sujet de dire qu’il ne comprend pas ce qui se passe, ce serait comme le fait l’agresseur, prendre la victime d’inceste pour un objet, c’est-à-dire quelqu’un qu’on ne considère pas comme une personne digne de penser par elle-même. Souvent l’identification à l’agresseur, chère au psychanalyste Ferenczi, devient une défense ; ainsi l’ancien agressé devient l’agresseur, l’ancien abusé devient abuseur. A moins que ce secret ne se transforme en somatisations, en mythomanie ou en un délire qui va préserver l’individu dans une néo-réalité par le biais de la psychose.
Les conséquences de ces blessures intimes sont profondes et marquent le corps : anorexie, frigidité, somatisations, violences subies ou données, mais aussi nymphomanie, célibat forcené, les ravages de l’inceste subi sont multiples. Il est alors intéressant de consulter un psychologue pour sortir de cette impasse, pour ne plus subir les effets de ce vécu, afin pouvoir vivre et non survivre, pour ne pas transmettre cette part traumatique aux générations suivantes.